Dans les hyper et supermarchés, les caissières font de la résistance

Rédigé le 28/11/2019


Les caisses automatiques gagnent du terrain dans les magasins, mais les distributeurs assurent que les caissières ne sont nullement appelées à disparaître.

 

Fin août, pour la première fois en France, l’hypermarché Casino d’Angers décidait de rester ouvert le dimanche après-midi avec seulement quelques vigiles, mais sans aucun personnel en caisse. L’affaire a fait grand bruit, rebondissant du terrain social au terrain judiciaire, s’imposant comme le symbole de la disparition programmée des caissières face à la progression de l’automatisation et aux changements des modes de consommation.

Apparues en France il y a quinze ans, les caisses où le client scanne lui-même ses produits se sont répandues dans les hypermarchés, avant d’essaimer dans les supérettes urbaines. Aujourd’hui, elles sont présentes dans plus de la moitié des grandes surfaces (57 %), selon une étude de l’institut Nielsen. Dans les magasins où elles cohabitent avec des caissier(e)s en chair et en os, elles voient passer un client sur sept et encaissent 10 % du montant des ventes.

L’irritante attente

« La caisse automatique, c’est l’employée rêvée du patron : jamais de vacances, jamais malade, jamais augmentée. C’est pour ça que la distribution en veut toujours plus », dénonce Dejan Terglav, secrétaire général de la branche commerce de FO. « Pas du tout », répliquent les enseignes qui vantent surtout un moyen de répondre aux aspirations des consommateurs.

L’attente en caisse est « l’irritant principal des consommateurs », avait ainsi lancé en 2018 Régis Schultz, alors patron de Monoprix. « Attendre cinq minutes pour passer à la caisse avec un gros chariot de courses dans un hypermarché, c’est encore acceptable. Attendre cinq minutes dans le magasin en bas de chez soi quand on veut juste payer une boisson, ce n’est plus accepté », résume Frank Rosenthal, consultant spécialiste du commerce.

Cette volonté de satisfaire le client n’empêche évidemment pas les enseignes d’apprécier aussi les caisses automatiques pour les économies qu’elles génèrent. « La distribution est avant tout une industrie de main-d’œuvre, rappelle Mathieu Hocquelet, sociologue au Centre d’études et de recherches sur les qualifications (Céreq). Les caisses automatiques se sont imposées au milieu des années 2000, au moment où le secteur connaissait les premières difficultés et cherchait à réduire les coûts. »

150 000 caissiers, surtout des caissières

Malgré cette pression, les représentants de la grande distribution font valoir que le nombre de caissiers et surtout de caissières (les femmes représentant 80 % des effectifs) ne s’est pas effondré. « Ceux qui disaient il y a déjà vingt ans que les caissiers allaient disparaître rapidement se sont trompés. Leur nombre est stable et on compte toujours 150 000 équivalents temps plein dont l’encaissement est l’activité principale », analyse Renaud Giroudet, directeur des affaires sociales à la Fédération du commerce et de la distribution (FCD).

Si la décrue des effectifs reste limitée, c’est aussi parce que le métier a déjà beaucoup changé. En dehors des grands hypermarchés, les salariés sont devenus polyvalents, assurant également diverses activités, comme la mise en rayonDe plus, d’autres tendances lourdes viennent freiner la possibilité de supprimer trop d’emplois en caisse. Le vieillissement de la population et la persistance d’un grand nombre de consommateurs peu à l’aise avec les outils numériques pousse à maintenir une présence humaine. Voire à implanter, comme le fait Carrefour dans certains hypermarchés, des « bla-bla-bla caisses » pour les clients désireux de ne pas en rester au « bonjour, merci, au revoir » avec la caissière.

La pratique s’installe dans les centres-villes

Si l’ouverture d’hypermarchés en mode totalement « autonome », comme à Angers, demeure donc l’exception, la pratique s’installe dans les magasins de centre-ville. Fer de lance de cette stratégie, le groupe Casino compte déjà 200 magasins susceptibles de fonctionner sans personnel, la nuit ou le dimanche.

Son objectif est d’en équiper 500 d’ici à 2021. Les caisses automatiques qui étaient auparavant utilisées aux côtés des caisses classiques se substituent alors totalement aux caissières. « Le droit du travail reste très restrictif, alors les grands groupes multiplient les expérimentations, notamment pour répondre aux besoins d’une population urbaine qui sort tard du bureau », constate Caroline Luche-Rocchia, avocate associée au cabinet Grant Thornton Société d’avocats.

Les possibilités croissantes ouvertes par la technologie nourrissent évidemment l’inquiétude sur le futur des caissiers et caissières. « Une bascule massive vers le tout-automatique devient possible. Et vu la concurrence exacerbée dans le secteur, si une enseigne se lance, les autres suivront », redoute Dejan Terglav, de FO.

« Nous croyons à l’humain »

La grande distribution, pourtant, assure n’avoir aucune volonté de faire disparaître les caissières. « Cela n’est possible que dans des petits magasins, dans des localisations spécifiques. Pour le reste, nous croyons à l’humain, car c’est par les services que nous nous différencions du commerce en ligne », fait-on valoir chez Carrefour. « Ouvrir sans personnel, c’est dégrader notre service. Ce n’est pas du tout ce que nous souhaitons », renchérit un porte-parole de Casino.

Dans le même temps, le secteur dit pourtant se préparer à tous les scénarios. « Nous avons lancé une étude pour être capable d’anticiper les évolutions et voir comment nous pourrons y répondre sur le plan social, notamment par la formation », confie Renaud Giroudet, de la FCD. Car si nul ne parie à court terme sur la disparition totale des caissières, rares sont ceux qui n’imaginent pas un recul plus ou moins fort des effectifs dans les années à venir.

Un tel mouvement ne ferait pas que changer la physionomie du commerce. Il constituerait surtout un redoutable problème social. « Caissier, c’est l’un des rares métiers que l’on peut encore intégrer sans aucun diplôme, aucune formation », rappelle Mathieu Hocquelet. Si cette porte venait à se fermer, prévient Dejan Terglav, « ce serait une catastrophe, avec des répercussions bien au-delà de la grande distribution ».

Un métier féminisé et peu valorisé

La catégorie « caissiers et employés de libre-service » représentait 295 000 personnes en moyenne sur la période 2012-2014, dont 195 000 caissiers, selon les chiffres du ministère du travail.

Après avoir beaucoup augmenté dans les années 1990 avec le développement des grandes surfaces, les effectifs ont culminé au milieu des années 2000 avant de commencer à s’éroder.

Les femmes représentent huit employés sur dix, une proportion qui a légèrement diminué sur la dernière période.Plus d’un quart des caissiers et employés de libre-service n’a aucun diplôme, un autre quart détient un CAP ou un BEP.

Les caissiers et employés de libre-service connaissent plus que la moyenne des salariés des horaires atypiques. « Neuf sur dix déclarent travailler le samedi, plus du tiers travaille le dimanche », note le ministère, qui relève également que « 43 % exercent à temps partiel, souvent imposé ».