Carrefour règle ses comptes avec le cartel des produits d'hygiène

Rédigé le 18/01/2020


 

L'enseigne française a intenté plusieurs procédures judiciaires contre certains de ses fournisseurs, condamnés pour entente par l'Autorité de la concurrence. Cela lui a permis de récupérer des millions d'euros. D'autres distributeurs pourraient lui avoir emboîté le pas.

Les distributeurs et leurs fournisseurs s'affrontent traditionnellement dans les boxes des négociations commerciales. Ils s'opposent aussi désormais à la barre du tribunal. En témoigne la récente condamnation de Jonhson & Jonhson à verser 6,6 millions d'euros au groupe Carrefour. La filiale française de la société pharmaceutique américaine, qui a fait appel de cette décision, subit en fait les conséquences indirectes d'une décision de l'Autorité de la concurrence en… 2014.

A l'époque, l'affaire avait fait grand bruit : coupables d'entente dans le secteur des produits d'hygiène, plusieurs poids lourds de la grande consommation avaient été sanctionnés d'une amende de 605,9 millions d'euros. Parmi eux, L'Oreal, Beiersdorf (Nivea) ou Procter & Gamble. Un autre cartel, cette fois dans le secteur des produits d'entretien, avait parallèlement fait l'objet d'une sanction du gendarme de la concurrence, à hauteur de 345 millions d'euros. Certaines entreprises, comme Unilever ou Colgate Palmolive, étaient concernées par les deux décisions.

Accords à l'amiable

Mais ces amendes - un record à l'époque -, n'ont été qu'une première étape pour les fournisseurs concernés. Car les victimes des pratiques anticoncurrentielles, en l'occurrence les distributeurs, sont désormais fondées à récupérer le préjudice subi.

S'estimant lésé, Carrefour ne s'en est pas privé. Plusieurs documents consultés par « Les Echos » montrent que le groupe français a multiplié les procédures devant le tribunal de commerce de Paris, réclamant parfois plusieurs dizaines de millions d'euros. Des actions qui ont porté leurs fruits, directement ou indirectement.

Outre la condamnation de Jonhson & Jonhson à 6,6 millions d'euros, Carrefour a trouvé un accord à l'amiable avec Bolton Solitaire (Rogé Cavaillès, Somatoline), alors qu'il lui réclamait initialement 6,7 millions d'euros.

Selon toute vraisemblance, un terrain d'entente a également été trouvé avec les autres membres du cartel. Carrefour s'est ainsi désisté de la procédure qu'il avait lancée contre Beiersdorf, fournisseur des marques Nivea ou Labello, ayant au préalable estimé le préjudice à 43,3 millions d'euros. Idem pour Procter & Gamble, à qui Carrefour demandait près de 200 millions d'euros de réparation, concernant les deux volets de l'affaire (produits d'hygiène et d'entretien). Quant à Jonhson SC, le préjudice était évalué à 19,4 millions d'euros. Dans ce genre de cas, le montant récupéré se situe dans une fourchette de 10 % à 15 % du montant demandé, indique un bon connaisseur du secteur.

Conflit avec L'Oréal

Selon nos informations, d'autres transactions - dont les montants sont tenus secrets - ont également été conclues sans passer par la voie judiciaire. Aucune procédure n'a en effet été lancée contre Colgate-Palmolive, Henkel ou Unilever, pourtant sanctionnés par l'Autorité de la concurrence.

L'Oréal, en revanche, n'a pas toujours pas abdiqué. Alors que le manque à gagner a été évalué par Carrefour à 113 millions d'euros, la procédure est toujours en cours, et une nouvelle audience devant le tribunal de commerce de Paris est prévue dans les prochaines semaines.

Vers un contentieux de masse ?

Pour le cartel des produits d'hygiène, la facture pourrait en outre s'alourdir. Certains distributeurs auraient en effet décidé de lancer des procédures contre leurs fournisseurs, emboîtant le pas à Carrefour. D'autres ont préféré négocier à l'amiable, préférant ne pas avoir à rendre publics certains documents, comme des factures, lors d'une action en justice.

« Dans les cas d'ententes portant sur des produits de grande consommation, il peut y avoir une multitude de victimes directes - ce qui peut en effet potentiellement exposer l'entreprise qui a commis l'entente à un contentieux de masse », confirme Irène Baudu, spécialiste du droit de la concurrence. Les membres du cartel ne sont donc pas sûrement pas au bout de leur peine.

Contacté, Carrefour ne commente pas ces informations. Johnson & Johnson « conteste le fait que Carrefour ait subi le moindre préjudice », tandis que les autres fournisseurs n'ont pas souhaité faire de commentaire.